Ouïghours : le bilan deux ans après

Ouïghours : le bilan deux ans après

Quelles sont les marques de textile impliquées dans le travail forcé des Ouïghours? Ont-elles répondu aux accusations de l’ASPI ? Et surtout, que peut-on faire à notre échelle pour faire avancer le sujet ?


Deux ans après la sortie du rapport de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) qui accusait 82 multinationales de participer à l’exploitation du peuple Ouïghours, prenons un moment pour faire un bilan des engagements des marques.

Les origines du scandale

Il y a deux ans, en mars 2020, le scandale ouïghour éclate : des dizaines de multinationales sont accusées de participer à l’exploitation du peuple turcophone majoritairement musulman vivant dans la région du Xinjiang, en Chine, ainsi qu’en Asie centrale (au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Turquie). Depuis 2015, les Ouïghours sont maintenus de force dans des camps de travail et y subissent une grande oppression de la part du gouvernement chinois.

La chronologie depuis mars 2020

2020 : marques impliquées et faits notoires

Le 1er mars 2020, l’ASPI publie le rapport “Uyghurs for sale” et incrimine 82 multinationales, dont 37 dans le secteur textile, de participer à l’exploitation du peuple Ouïghour. Sont citées : Abercrombie & Fitch, Adidas, Calvin Klein, Carter’s, Cerruti 1881, Fila, Gap, H&M, Jack & Jones, Lacoste, Nike, Polo Ralph Lauren, Puma, Skechers, Tommy Hilfiger, Uniqlo, Victoria’s Secret, Zara…

➡Voir toutes les marques impliquées

❓ Le 1er avril 2020, le groupe de luxe Kering (Gucci, Alexander McQueen, Yves Saint-Laurent, Balenciaga, Bottega Veneta et Brioni) annonce dans son Document d’Enregistrement Universel, développer “une culture biologique dans la région du Xinjiang en Chine dans deux plantations de coton”. Aussi louable soit l’objectif environnemental de cette démarche, la région est mal choisie… Les 6 marques du groupe Kering rejoignent les 37 premières incriminées.

2021 : certaines marques sont boycottées et sanctionnées

Le 13 janvier 2021, les États-Unis se positionnent et décident d’interdire tous les produits fabriqués avec du coton provenant du Xinjiang, soit 20 % de la production mondiale.

💥 Le 24 février 2021, une plainte est déposée contre la marque Nike. Celle-ci est portée par l’association des Ouïghours de France qui regrette l’inaction et le silence de la multinationale.

💪 Le 10 mars 2021, le Parlement Européen, adopte à une forte majorité une résolution appelant la Commission à légiférer pour mettre fin à l’impunité des marques qui forcent les Ouïghours à travailler.

✊ Le 22 mars 2021, l’Union européenne adopte ses premières sanctions contre la Chine. Elle sanctionne les hauts fonctionnaires chinois pour la répression contre les Ouïghours ainsi qu’une entreprise para-militaire chinoise exploitant les travailleurs ouïghours. Les Britanniques, les Canadiens et les Américains adoptent les mêmes sanctions que l’Union européenne contre les responsables de la répression des Ouïghours.

🤡 Le 24 mars 2021, Nike, qui avait pourtant toujours nié son implication dans ce scandale, s’engage à ne plus utiliser de coton du Xinjiang. La prise de position de la multinationale déplaît au gouvernement chinois, et un appel national au boycott de la marque est lancé. Deux acteurs chinois (Wang Yibo et Tan Songyun) rompent leurs contrats d’ambassadeurs avec Nike… Tan Songyun déclare être “fermement opposée à toutes les actions malveillantes visant à salir ou à répandre des rumeurs sur la Chine”.
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🎭 Fin mars 2021, pour éviter un boycott chinois à l’image de celui contre Nike, certaines marques annoncent sur le réseau chinois Weibo soutenir la filière du coton du Xinjiang. C’est notamment le cas d’Hugo Boss, pourtant jusqu’alors non incriminé dans ce scandale. Lorsque cette déclaration éclate aux yeux de la communauté internationale, Hugo Boss retire son soutien à la filière du coton du Xinjiang. Et à l’image d’Hugo Boss, Asics fait les mêmes annonces.

Difficile de s’y retrouver… Mais ce qui est certain, c’est que ces pressions politiques et communications contradictoires brouillent les informations pour les consommateur.ices !

⚖ Le 9 avril 2021, trois ONG (Sherpa, le Collectif Ethique sur l’étiquette, l’Institut Ouïghour d’Europe) ainsi qu’une rescapée Ouïghoure portent plainte contre quatre multinationales pour génocide et crime contre l’humanité. Les accusés sont :

  • le groupe Inditex notamment composé de Zara, Bershka et Stradivarius,
  • la marque japonaise Uniqlo,
  • le groupe SMCP, composé de Sandro, Maje, Claudie Pierlot et De Fursac, jusqu’à présent non impliqué,
  • la marque de chaussures Sketchers.

Le 1er juillet 2021, suite à cette plainte, la justice française ouvre une enquête confiée au département des “crimes contre l’humanité” du parquet national antiterroriste. Les marques suivantes sont concernées : Uniqlo France, le groupe japonais Fast Retailing, Inditex (Zara, Bershka, Massimo Duti), SMCP (Sandro, Maje, de Fursac, Claudie Pierlot) et Skechers.

👚 Le 22 novembre 2021, la Commission départementale d’aménagement commercial de Gironde émet un avis défavorable à l’agrandissement d’un magasin Zara situé à Bordeaux, rue Sainte-Catherine. La raison de ce refus : la plainte contre la maison mère de Zara, accusée d’avoir recours au travail forcé des Ouïghours. L’élu Alain Garnier, qui représentait la Métropole à cette commission, déclare : “C’est une décision politique que nous assumons. Nous avons voulu donner un signal fort en refusant l’agrandissement de magasins qui ne maîtrisent pas suffisamment leurs sous-traitants”. En mars 2022, la commission publie sur son site un avis favorable au doublement de la surface de vente.

2022 : le mot génocide est posé

⚠️ Le 20 janvier 2022, l’Assemblée nationale reconnait et condamne le génocide et les crimes contre l’humanité que subissent les Ouïghours. Le vote est adopté à la quasi-unanimité (169 votes pour, un contre et cinq abstentions).

Depuis, le sujet semble être mis de côté, et l’actualité saturée profite aux marques incriminées qui restent très discrètes…

L’avis de Clear Fashion sur l’engagement des marques

📣 Plus de la moitié des marques citées ont répondu aux accusations de l’ASPI

Abercrombie & Fitch, Adidas, Amazon, Badger Sport, C&A , Calvin Klein, Cotton On, Esprit, H&M, Lacoste, Nike, Patagonia, Carter’s, Polo Ralph Lauren, Target Australia, Tommy Hilfiger, Uniqlo, Victoria’s Secret, Woolworths, Zara : ces marques ont pris la parole suite au rapport de l’ONG australienne.

➡Voir les réponses des marques
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👊 Parmi ces marques, certaines ont réagi

💣 Leurs engagements Des marques ont arrêté leurs activités commerciales avec les fournisseurs de la région de Xinjiang, où sont retenus les Ouïghours, et d’autres ont affirmé vouloir cesser ces activités au plus vite. Certaines de ces marques ont aussi affirmé vouloir renforcer la traçabilité lors de la production, afin d’éviter un nouveau scandale.

💛 Notre avis

  • Cartographier les fournisseurs et sous-traitants,
  • Identifier les risques,
  • Stopper les activités commerciales avec les usines implantées dans la région,

👉 sont des actions ponctuelles efficaces. En revanche, il est essentiel que ces marques renforcent la traçabilité le long de leur filière et augmentent le nombre d’audits externes de manière continue. Accompagner et réaliser un suivi régulier concernant les pratiques des fournisseurs sur le terrain est une nécessité.

❌ D’autres ne reconnaissent pas leur implication dans les faits

Concernant les autres marques ayant pris la parole, nombreuses sont celles qui ne reconnaissent pas leur implication dans les faits.

💣 Leurs arguments Certaines d’entre elles nient avoir des relations commerciales directes avec les fournisseurs impliqués ou déclarent ne pas avoir d’information concernant les sous-traitants de leurs fournisseurs. Par ailleurs, parmi les marques impliquées, certaines affirment avoir prévenu ces risques en faisant signer des chartes de bonne conduite interdisant le travail forcé sur leur chaîne de production, avant le scandale.

💛 Notre avis
Ces arguments replacent au centre du débat la question de la responsabilité des entreprises sur la méconnaissance de leur filière et de l’absence de sanction qui en découle. Ce discours est possible car les marques ne sont pas tenues légalement des mauvaises pratiques de leurs fournisseurs. Cette absence de sanction permet donc aux marques de fermer les yeux sur certaines pratiques, et nous interroge sur l’efficacité des chartes et codes de bonne conduite rédigés en interne.

Rappelons que le devoir de vigilance a été adopté au Parlement Européen en 2021 et qu’il continue sa progression dans l’agenda des institutions européennes. Pour être effectif, il devra être validé par le Conseil européen et par le Parlement européen.

🔇 Certaines marques et usines ont gardé le silence

C’est certainement le comportement le plus à risque… Il est légitime de penser que :

  • Ces entreprises ne disposent pas des informations leur permettant de répondre à ces accusations, mettant ainsi en évidence le manque de connaissance de leur chaîne d’approvisionnement.
  • Ces marques ont bien connaissance de ces informations et estiment qu’il reste préférable, en terme d’image de marque, de ne pas les communiquer. Leur réputation prend alors le pas sur le respect de la dignité humaine.

Retrouvez le suivi complet des actions des marques sur notre document en accès libre :

Ok et maintenant on fait quoi ?

1ère étape : on soutient à fond 💪

On peut soutenir les actions menées par des ONG comme Sherpa, le Collectif Ethique sur l’étiquette et l’Institut Ouïghour d’Europe, mais également le député européen Raphaël Glucksman, qui œuvrent pour renforcer les restrictions relatives à l’importation de biens issus du travail forcé des ouïghours pour faire pression sur le gouvernement chinois afin qu’il mette fin au cycle des abus.

2ème étape : on checke les statuts des marques sur l’application Clear Fashion

De notre côté, nous agrégeons et analysons continuellement l’information (l’actualité, les déclarations et engagements des marques) pour vous aider à décrypter les marques et les inciter à agir. Les informations obtenues sont mises à jour sur notre application. Renseignez le nom de la marque qui vous intéresse, et un bandeau “alerte Ouïghours” s’affichera si elle participe à l’exploitation ouïghoure ⬇

3ème étape : incitons les marques à prendre la parole

Vous pouvez vous aussi interpeller directement les marques restées silencieuses face au scandale. En tant que consommateurs et consommatrices, vous avez un pouvoir de persuasion face aux marques et pouvez contribuer à faire cesser l’exploitation des Ouïghours ! 💪 Pour cela, n’hésitez pas à vous reporter à notre tableau de suivi.

Et si vous êtes prêt.e à réaliser d’autres missions pour améliorer l’industrie textile, rejoignez notre communauté d’ambassadeurs et d’ambassadrices !

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